24/01/2012
Alain Juppé, ministre étranger aux affaires
Crépuscule des technocrates :
Qui donc disait de lui : « c'est le meilleur d'entre nous » ? Jacques Chirac ; ça relativise le propos.
Aujourd'hui Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, confirme tous les jours son manque d'envergure et son absence congénitale de diplomatie.
Du manque d'envergure, on avait eu un symptôme quand Juppé (maire de Bordeaux) s'était empressé de parler comme les médias, lors du voyage africain de Benoît XVI en 2009. « Ce pape commence à poser un problème », avait déclaré le maire de Bordeaux, sur un ton de gravité risible. Il s'agissait de la grande affaire de la phrase sur le préservatif, dont on allait comprendre – dix jours après – qu'elle avait été déformée par une agence de presse ; M. Juppé avait une fois de plus « parlé dans le sentiment de l'urgence », comme disaient les éditorialistes des années 1990. Il aurait mieux fait de se taire.
De son absence congénitale de diplomatie (lacune pour un diplomate), on a trop d'exemples. Le dernier hier. Commentant le vote par le Sénat de la loi sur le génocide arménien (loi pour plaire à 500 000 électeurs français), et alors qu'Ankara ulcérée rompt les relations diplomatiques avec Paris, M. Juppé trouve le moyen de déclarer : « Je voudrais appeler nos amis turcs au sang-froid ». Première bourde : on ne parle pas sur ce ton à un grand pays. Mais le ministre ajoute qu'au titre des Affaires étrangères, il juge "inopportune" la loi française sur le génocide ! Deuxième bourde : après avoir vexé les Turcs, leur avouer que le parti du président français fait n'importe quoi.1
D'où viennent tant de pataquès ? Sans doute de ce culte de « l'urgence », leitmotiv des politiciens d'aujourd'hui (le réflexe2 remplaçant la réflexion). Mais dans le cas de Juppé, il y a quelque chose de plus. Cette vanité autoritaire est celle du technocrate, qui croit pouvoir régenter l'univers parce qu'il est expert en gestion des collectivités publiques. Ces gens nous ont menés dans la catastrophe occidentale actuelle. Ils ne le comprennent pas. Ils ne sont pas équipés pour comprendre.
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1. C'est d'ailleurs le cas ! Pour continuer à faire le supplétif des Etats-Unis au Proche Orient, Nicolas Sarkozy avait besoin de la Turquie ; comment continuera-t-il ses gesticulations guerrières contre la Syrie et l'Iran, ayant poussé la Turquie à refuser ses ports et ses terrains d'atterrissage à la marine et à l'aviation françaises ?
2. Un réflexe conditionné par les médias, qui donnent le ton et le tempo.
10:42 Publié dans En 2012, Idées, La crise, Société, Syrie, Terre Sainte | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : juppé, turquie, syrie, iran, sarkozy, arméniens
Commentaires
DEBAT
> A peu près d'accord avec votre avis sur les approximations de M. Juppé que vous évoquez. Je serai en revanche moins général quand vous dites dans votre conclusion que ce sont les technocrates qui nous ont menés dans la catastrophe actuelle. Les administrations ont été la courroie de transmission du néo-libéralisme certes (mais pas davantage que les autres acteurs importants dans la société). Toutefois, ces mêmes administrations et technocrates feront aussi partie de la solution et de la sortie de la catastrophe. Je pense que nous aurons besoin de bons administrateurs au service d'un Etat redevenu expression de la volonté politique d'une communauté d'hommes au niveau local, national, européen et international (Autorité politique mondiale).
ED
[ De PP à ED :
- Parfaitement d'accord avec vous,
- à ceci près que les technocrates français ont approuvé le saut dans le vide néolibéral... Cf l'ENA reconvertie en une sorte de business school hypocrite, etc. Et le pantouflage systématique des petits énarques vers le CAC 40...
- Dans la mesure où la technocratie (l'énarchie) était la clé de voûte du système français, c'est elle qui porte la responsabilité opérationnelle du bradage des années 1980-1990.
- Je ne voulais rien dire d'autre, et surtout pas m'en prendre à la notion d'Etat - comme c'est la mode chez les dadais libéraux ne comprenant rien à l'économie.
- Nous aurons besoin de bons administrateurs, c'est vrai. Donc pas des débris de l'énarchie ! ]
réponse au commentaire
Écrit par : Edgard Dupré / | 24/01/2012
UNE BOURDE PAR JOUR, MINIMUM
> Alain Juppé sur l'Afghanistan : "Ce qui compte, c'est de garder son sang-froid et ne pas partir dans la panique parce que cela serait dangereux pour nos propres troupes. Nous allons voir s'il faut adapter ce plan de retrait..."
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Écrit par : louis rossel / | 24/01/2012
UN MAL POUR UN BIEN
> On ne peut quand même pas demander à des supplétifs de réfléchir: vous êtes bien exigeant!
Peut-être cette histoire de loi antinégationniste (double négation, désolé) est-elle un mal pour un bien: si elle empêche de nouvelles extravagances guerrières en entravant notre logistique.
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Écrit par : Pierre Huet / | 24/01/2012
LE PLUS SUBTIL DES ANGES
> Ah, l'ENA ! J'ai échoué par deux fois au concours, en n'étant même pas fichu d'être admissible : j'aurais donc tendance, tout naturellement, à casser du sucre sur le système énarchique, et surtout à penser que le concours de l'ENA n'est pas, mais alors pas du tout adapté aux enjeux de notre époque (lol).
Mais où il faut être honnête : la création de l'ENA a été un immense progrès, par rapport à ce qui existait avant guerre : concours de rédacteurs organisés par ministère, avec des corps hyper-cloisonnés et, surtout, un accès aux Grands Corps quasi-réservé aux rejetons de la très-haute bourgeoisie. Symptomatique : il était de bon ton qu'un lauréat du concours de recrutement de l'Inspection générale des Finances (ou du Conseil d'Etat, je ne sais plus) organise une réception pour l'ensemble des membres du jury ! Ou, pour les diplomates, lauréats du "grand concours" du Quai, l'obligation d'accomplir un long stage non rémunéré en ambassade...
A partir de 1945, des personnes d'extraction modeste ont pu accéder à la très haute fonction publique. M. Juppé en est un exemple.
Quand on parle de l'énarchie, il faut bien bien faire la distinction entre les énarques "de base" (administrateurs civils, membres du corps préfectoral, magistrats des tribunaux administratifs et des chambres régionales des comptes, ...), les "un peu mieux que ceux de la base" (diplomates, membres des inspections générales hors IGF) et...les Grands Corps (IGF, Conseil d'Etat, Cour des Comptes). Ces derniers accueillent (hors recrutement par les tours extérieurs) les 15 élèves de l'ENA les mieux classés au concours de sortie (souvent, les gens qui y arrivent préparent le concours de sortie AVANT le concours d'entrée...bref).
C'est clair : je n'ai jamais croisé un énarque membre d'un Grand Corps (idem pour les Grands Corps techniques alimentés par la botte de l'X) qui ne soit pas une très, très grande intelligence. Lorsque je préparais l'ENA en interne, j'avais un cours d'économie assuré par deux jeunes inspecteurs des finances (moins de 30 ans) qui, pour au moins un d'entre eux, ont fait un très beau parcours depuis. Jamais vu un truc pareil : des interventions approfondies, puissantes, très claires... bluffantes. Les meilleurs cours que j'ai jamais eus. Les deux gars : deux avions de chasse au décollage...bourrés d'électronique.
Evidemment , lorsque 99,99% de vos contemporains sont plus lents de la comprenette que vous, s'intéresser VRAIMENT à eux (et même penser que leur présence sur terre présente un quelconque intérêt) relève de l'ascèse...de la sainteté même. Je suis persuadé que l'on doit même penser que les faits manquent d'intelligence... J'ai cru comprendre que le problème s'est posé pour la première fois un peu après la création de l'univers, avec le plus subtil des anges...
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Écrit par : Feld / | 24/01/2012
GAULLISTE
> j'étais un fan d'alain juppé, et j'ai toujours trouvé que sa condamnation était injuste.
cependant ces diverses prises de positions sur la politique menée par ce gouvernement m'afflige en ma qualité de gaulliste de la première heure.
je déplore cette perte des valeurs fondamentales de la République qui devient celle des copains et des coquins ou seul le fric mène la danse et ou le seul moment où nous interessons les politicards sont les périodes électorales - cette perception entrainera le vote pour les extrèmes, si j'ose dire.
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Écrit par : busuttil / | 26/01/2012
"INADMISSIBLE"
> Trouvez-vous légitime qu'Alain Juppé, non candidat, vienne débattre contre François Hollande, candidat du PS, en représentant Nicolas Sarkozy, non candidat, et représentant l'UMP qui n'a toujours pas de candidat ? Le duel n'était pas équilibré. Hollande prenant plus de risque, il a failli être déstabilisé par Juppé qui n'a pas été très honnête sur l'Europe en fin d'émission.
Tous les journalistes et les instituts de sondage admettent tacitement que "Sarko", dixit Juppé, est candidat, je trouve cela inadmissible. Il doit être ignoré comme prétendant jusqu'à sa déclaration.
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Écrit par : Zacharie / | 27/01/2012
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