31/03/2009
L’eugénisme dans notre société : 2ème partie
Suite de la note du 28 mars - L'analyse de Mgr Jacques Suaudeau (Académie pontificale pour la Vie) :
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REPORT 283 – March 31, 2009
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EUGENISME, GENETIQUE ET EUGENETIQUE :
ENTRETIEN AVEC Mgr JACQUES SUAUDEAU,
DE L’ACADEMIE PONTIFICALE POUR LA VIE
2ème PARTIE
Introduction :
Dans cette deuxième partie de notre entretien sur l’eugénisme, la génétique et l’eugénétique, J. Suaudeau définit la génétique et nous parle des enjeux de ses deux principales applications cliniques :
- les tests génétiques d’une part, surtout le diagnostic préimplantatoire et les tests vendus sur Internet ;
- et la thérapie génique d’autre part, dont J. Suaudeau évoque à la fois les promesses et les risques de déviances.
--De l’eugénisme dont nous avons parlé dans la première partie de cet entretien, revenons à la génétique. Qu’est-ce, au fond, que la génétique ?
La génétique, en tant que « science de l'hérédité », est d'abord et avant tout une science biologique comme les autres, à l'instar de l'embryologie, de la biochimie ou de l'immunologie. Sous son aspect moderne de « génétique moléculaire », elle explore la transmission de l'information contenue dans le génome, le contrôle de cette transmission, et la façon dont sont élaborées les protéines à partir de cette information. Elle étudie en détail toutes les anomalies qui peuvent intervenir dans l'expression de cette information et sa « transcription » dans les diverses protéines, car c'est l'étude de ces anomalies qui lui permet de comprendre le normal. Les connaissances ainsi acquises débouchent sur différentes applications cliniques, en particulier pour le diagnostic et le traitement éventuel des maladies à caractère héréditaire. Il s'agit essentiellement des tests génétiques, sur lesquels se base le « conseil génétique » préimplantatoire ou prénatal, et de la thérapie génique.
--Commençons par les tests génétiques...
Les tests génétiques visent à détecter au niveau du génome, c'est-à-dire de l'ensemble du matériel génétique de l'individu, présent dans la molécule d'ADN (une large partie de cette molécule n'a pas de fonction génétique), les anomalies qui peuvent entraîner l'apparition d'une maladie génétique (maladies mono ou polygéniques). Ils s'étendent aussi aujourd'hui à la détection des traits génétiques particuliers dont l'association peut prédisposer à certaines pathologies (maladies « complexes »). Ces tests peuvent être pratiqués sur des cellules de sujets déjà nés, ou même adultes, pour confirmer le diagnostic d'une maladie génétique (test diagnostique) ou prédire, par un calcul de probabilité, la survenue possible chez ce sujet d'une certaine pathologie (tests « prédictifs » du cancer du sein, par exemple). Ces tests sont pratiqués le plus souvent sur des cellules foetales recueillies au niveau du liquide amniotique, dans le cadre du diagnostic prénatal. On peut aussi les mettre en œuvre sur une ou deux cellules prélevées sur l'embryon créé « in vitro » et non encore implanté dans l'utérus maternel, dans le cadre du diagnostic préimplantatoire.
--Il serait utile que vous nous rappeliez ce qu’est le « diagnostic préimplantatoire ».
Il existe deux types de diagnostics avant la naissance : le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire. Le diagnostic prénatal étudie l'état de développement du foetus, à partir de la huitième semaine de la grossesse. Il fait appel avant tout à l'échographie, qui permet de voir rapidement si le fœtus n’est pas porteur de malformations au niveau des organes, des membres ou de la tête (hydrocéphalie). Le diagnostic prénatal génétique n'est fait qu'en cas de soupçon de maladie génétique. On prélève pour ce faire quelques cellules de ce foetus, soit dans le liquide amniotique, soit dans le sang du cordon ombilical, soit, plus récemment, en circulation dans le sang de la mère, et on vérifie la présence ou l'absence de l'anomalie génétique redoutée dans ces cellules. Les tests génétiques actuels permettent de rechercher, dans le même examen, toute une gamme d'anomalies génétiques pré-choisies. En cas de découverte d'une telle anomalie, la procédure habituelle est de proposer l’avortement.
Le diagnostic préimplantatoire, quant à lui, est d'introduction beaucoup plus récente. Il est lié au développement de la FIVET (fécondation in vitro suivie du transfert in utero de l'embryon ainsi créé). Il se propose d'étudier la morphologie et, éventuellement, les caractéristiques génétiques des embryons créés in vitro, pour n'implanter dans l'utérus maternel que les embryons les plus sains. Le diagnostic préimplantatoire se veut anti-avortement : ceux qui le proposent disent en effet que c’est un drame d’éliminer l’enfant alors qu’il se développe déjà dans le ventre de sa mère. On a pris l’habitude de dire que les embryons, avant l’implantation, n’avaient pas le caractère d’être humain et qu’on pouvait en disposer facilement. N’aurait de valeur que l’embryon déjà implanté dans l'utérus maternel. Selon cette logique, on crée un grand nombre d'embryons in vitro en vue de les sélectionner et de n’implanter que les meilleurs, ou ceux qui ne portent pas la marque génétique d'une maladie héréditaire. L’Eglise, qui constate que l'être humain commence son existence au moment de la fécondation, dans ce qu'on appelle le « zygote », reconnaît de ce fait à l'embryon humain non encore implanté dignité et droit à la vie. Elle demande à ce qu'on respecte ce droit quelles que soient les circonstances et ne peut pas accepter la pratique du diagnostic préimplantatoire.
--Pouvez-vous nous donner une idée de la proportion de cette problématique ?
Pour le moment, le diagnostic préimplantatoire reste une technique d'emploi exceptionnel, chère, et qui ne se pratique que dans quelques laboratoires, soit pour améliorer les résultats de la FIVET en cas d'échec répété, soit lorsque les parents ont dépassé l'âge de procréer, soit pour sélectionner un embryon indemne de la « tare génétique » qui affecte certaines familles (diagnostic préimplantatoire génétique ou DPIG), soit enfin pour sélectionner un embryon ayant des caractéristiques immunologiques précises, et qui servira après la naissance de donneur de moelle osseuse HLA compatible à un frère ou à une sœur dans le besoin d'une telle greffe (« savior sibling » ou « bébé médicament »). Nous avons dépassé les deux millions d’enfants nés par fécondation in vitro. Un millier d'enfants seraient déjà nés dans le monde à la suite d'un tri par diagnostic préimplantatoire (2.700 DPIG sur 367.000 cycles de PMA en Europe, rapportés en 2008).
--Quand est né ce diagnostic préimplantatoire ?
La technique date d’une quinzaine d’années (1987-1989), et la pratique, très restreinte, remonte à une dizaine d’années (1990). Il a fallu des lois d’exception pour la permettre, d’abord en Angleterre puis en France, et toujours sous conditions. Dans l'acceptation à titre exceptionnel de la pratique du DPI, les autorités des services de santé publique ont pris en compte la souffrance des familles affligées de certaines maladies génétiques graves - syndrome de Lesch Nyhan, dystrophie musculaire de Duchenne, ou mucoviscidose, par exemple - qui ne pouvaient espérer avoir des enfants normaux que grâce au DPI. Mais les indications du diagnostic préimplantatoire se sont depuis élargies, et la réglementation de sa pratique s'est beaucoup assouplie. Sachant, par exemple, que le cancer du sein se voit plus fréquemment chez les femmes porteuses de certaines mutations sur les gènes BRCA1 ou BRCA2, on peut proposer aux parents qui le désirent de pratiquer un diagnostic préimplantatoire sur une série d'embryons nés de leurs gamètes, en vue de sélectionner un de ces embryons qui ne sera pas porteur d'anomalies sur les gènes BRCA1 et BRCA2 et de l'implanter dans l'utérus maternel, avec la promesse que l'enfant qui naîtra de cet embryon ne pourra faire de cancer du sein une fois arrivé à l'âge adulte. Ceci s'est déjà fait une fois en Angleterre. Or cette « production » d’enfant qui n’aurait pas de prédisposition au cancer du sein passe par l’élimination de plus de 99 pour cent des embryons préparés pour ce DPI. Il s'agit donc en fait d'une technique négative, de sélection par destruction massive d’embryons.
Or ces embryons sont des êtres humains à part entière, même s'ils n'impressionnent guère à cause de leur taille réduite et de leur aspect très simple. Il y a en eux un principe directeur de développement, présent dès le stade zygote, dès la première cellule, qui coordonne le développement respectif de ces cellules, constituées en petit organisme autonome, et dirige ce développement de manière harmonieuse et synchronisée, en faisant s'exprimer, au moment voulu, le gène ou le groupe de gènes nécessaire(s) à la phase de développement en cours. L’embryon avant son implantation ne se réduit pas à ce qu'il paraît être - un groupe de cellules. Il s'agit d'un organisme autonome, doté d'un projet qui ne dépend que de lui, et qui conduit cet organisme à un stade d'abord pluritissulaire (gastrulation), puis foetal, postnatal, infantile, adolescent, adulte, et ce jusqu'à son achèvement dans la mort naturelle, à la fin de ce cycle vital préétabli. Si cet organisme individuel et autonome n'est pas un être humain, dès le départ, que pourrait-il bien être d'autre ? Le grand avocat et théologien africain Tertullien, qui vivait au troisième siècle de notre ère et n'avait pas les instruments d'investigation que nous avons, mais qui savait utiliser son cerveau, disait très justement à ce propos : « Il est déjà homme celui qui le sera ». L’utilisation de tests génétiques prédictifs pour sélectionner des enfants qui ne devraient théoriquement pas souffrir d'autisme, par exemple, est hautement critiquable. Pour une vague notion de probabilité, et en dépit d'un pourcentage d'erreur non négligeable, on se permet de créer des centaines d'embryons humains, dans le seul but d'en sélectionner un qui - peut être - ne sera pas autiste, et d’éliminer tous les autres.
--C’est dans les pays occidentaux qu’est pratiqué le diagnostic préimplantatoire ?
Oui, et riches, car c’est une technique extrêmement coûteuse, qui ajoute 3 à 6.000 dollars aux 10-15.000 déjà requis pour un cycle de FIVET. Si elle doit être renouvelée sur plusieurs cycles successifs à cause de l'insuccès de la FIV, on imagine facilement à quel drainage économique s'exposent les parents qui y ont recours. C’est une technique qui a, de plus, un taux d’erreur important, car faire un diagnostic sur une cellule quand un embryon en a huit implique un gros pourcentage d’erreur. A cause du fréquent « mosaicisme » qui caractérise les embryons précoces, les cellules de ces embryons ne sont pas en effet homogènes et une anomalie peut se voir dans une cellule et être absente de la cellule voisine.
--Comment des scientifiques peuvent-ils en arriver là ?
Si la pratique du DPI peut se comprendre, humainement parlant, lorsque ce sont des familles affligées par une pesante tare génétique qui y ont recours, elle devient inacceptable, voire absurde, lorsqu'elle est mise en jeu avec la promesse faite aux parents que leur futur héritier n'aura pas de maladie d'Alzheimer, par exemple. Aucun généticien actuellement ne pourrait considérer cette affaire comme sérieuse. Le problème aujourd’hui est que ces tests génétiques tendent à être publicisés et vendus sur Internet, sans contrôle, par des compagnies qui le font de façon abusive, en profitant de la crédulité des gens. L'utilisation de ces tests génétiques dans le diagnostic préimplantatoire peut être contrôlée, même si elle ne l'est pas encore. Sur le plan éthique et social, le problème – sérieux - vient de l'utilisation de ces tests, acquis sur internet, par des adultes, pour « savoir » ce que leur génome leur prépare de pathologique dans l'avenir. La publicité qui accompagne ces « trousses diagnostiques » avertit : « achetez des trousses de diagnostic génétique, et voyez si vous n’encourez pas le risque d’avoir un cancer ou une maladie de Parkinson ». Comment ces acheteurs pourront-ils être mis en garde contre les abus d'interprétation de ces tests ? Ils devront, certes, faire appel à un laboratoire pour la lecture des tests, mais aucun médecin ne sera là pour leur dire de ne pas se préoccuper des résultats.
Pour donner un exemple, Craig Venter, un des « pères » du programme « génome humain » avec Francis Collins, qui a eut l'honneur de présenter avec ce dernier, le 26 juin 2000, à la Maison Blanche, le « brouillon » de la séquence du génome humain, à peine achevé, a été le premier à voir son génome décrypté et séquencé, et cette séquence a été publiée dans son intégralité (PLOS biology, 4 septembre 2007). La lecture des variantes trouvées dans ce génome montrait que Craig Venter était prédisposé à un comportement antisocial, à l'alcoolisme, aux coronaropathies, à l'hypertension, à l'obésité, à la résistance à l'insuline, à l'hypertrophie du cœur gauche, à l'infarctus aigu du myocarde, au déficit en lipase lipoproteique, à l'hypertriglycéridémie, à l'ictus, et à la maladie d'Alzheimer. D'après toutes ces données, Craig Venter devait être une personne particulièrement à plaindre, si ce n'est déjà morte dans une condition misérable. Dans la réalité, Craig Venter est un athlète qui se porte à merveille, physiquement et intellectuellement. On imagine les conséquences désastreuses sur son possesseur qu'aurait eut la connaissance des prédictions portées à partir d'un tel génome, dans le cas d'une personne ordinaire, sans connaissances génétiques particulières. Il convient donc de mettre en garde contre l'usage incontrôlé, non réglementé, des tests génétiques.
--Et les gouvernements, ne réagissent-ils pas ?
La question des tests génétiques en vente par Internet a fait l’objet d’une réflexion du Conseil de l’Europe qui a produit il y a un an un protocole additionnel à la Convention d'Oviedo (1997), pour tirer la sonnette d’alarme à leur sujet et demander aux gouvernements de contrôler la diffusion et l'usage de tels tests, dans la mesure du possible.
--Revenons à la relation entre génétique et eugénisme… Nous n’avons pas encore parlé de la thérapie génique, seconde application concrète de la génétique.
La génétique redonne de l’eau au moulin de l’eugénisme en proposant les tests génétiques. Mais en même temps, elle a développé la thérapie génique, qui est une proposition de simple thérapie, non discriminative et non sélective, qui échappe semble-t-il à l'attraction eugéniste : il s’agit de pouvoir traiter à la racine les maladies génétiques monogéniques, c’est-à-dire dues à un seul gène pathologique. Au début, on pensait que la thérapie génique pourrait guérir ou améliorer de nombreuses pathologies. Maintenant cette phase de naïveté est passée, car on s'est rendu compte des difficultés réelles et des limites de telles opérations sur les gènes.
--Quand est née la thérapie génique ?
Dans les années 1970. La première utilisation humaine a eu lieu en 1990, aux National Institute of Health (NIH) aux Etats-Unis, pour ce qu’on appelle la maladie DICS-ADA. Il s'agit là d'un grave défaut immunitaire d'origine génétique, qui laisse les enfants qui en sont atteints sans défense devant les infections. La seule thérapeutique à leur offrir est la greffe de moelle osseuse immunologiquement compatible. Malheureusement ceci ne peut se faire que dans environ 20% des cas. Tant qu'ils n'ont pas reçu une telle greffe, ces enfants doivent être maintenus isolés du monde, dans des « bulles » en plastique, et c'est là qu'ils finissent souvent leur misérable existence, comme le petit David Vetter qui fit la chronique dans les années 80, avant de mourir à douze ans, hors de sa capsule, des suites d'une infructueuse greffe de moelle. La thérapie génique consiste à apporter à l'organisme atteint d'une maladie monogénique une copie du gène normal, qui vient complémenter le gène pathologique ou se substituer à lui. Cette thérapie génique a recours pour ce faire à des vecteurs, c'est-à-dire à des transporteurs de gènes qui sont en général des virus modifiés, débarrassés de tout caractère pathologique et de toute agressivité. Elle se fait le plus souvent ex vivo, c'est-à-dire que l’on prélève des cellules du sujet (par exemple de la moelle osseuse ou des lymphocytes), que l'on modifie génétiquement hors de l'organisme en les mettant en contact avec un vecteur qui leur apporte la copie désirée du gène normal, puis que l'on retourne ainsi modifiées dans l'organisme du patient où elles se greffent et commencent à apporter la protéine salvatrice, produite dans ces cellules par le gène corrigé. Bien sûr, cette thérapie génique ex vivo ne peut s’adresser qu’à des maladies génétiques diffuses, sans lien avec un organe particulier, par exemple des maladies génétiques du sang, ou du système immunologique.
Par contre les maladies qui sont liées au malfonctionnement d'un organe particulier, comme le cerveau ou le foie, échappent à la thérapie génique ex vivo. Dans ces cas, il faut avoir recours à la thérapie génétique in vivo, qui est beaucoup plus problématique. Il faut injecter directement dans l'organisme les vecteurs, transporteurs de la copie normale du gène à corriger, et il faut diriger si possible ces vecteurs vers l'organe à traiter (par exemple pour une maladie du foie, on injectera ces vecteurs dans l’artère hépatique). Cette thérapie génique in vivo est beaucoup plus hasardeuse que la précédente car l'irruption des vecteurs dans le flux circulatoire du sujet peut déclencher de très sévères réactions immunologiques, antivirales. C'est ainsi qu'elle a causé la mort d’un jeune homme, Jess Gelsinger, qui souffrait d'une maladie hépatique héréditaire, le déficit en ornithine carbamyl transférase (OCT), et s'était rendu volontaire pour une tentative expérimentale de traitement de la OTCD par administration de vecteurs porteurs du gène OTC normal dans l’artère hépatique. Jess Gelsinger fit une réaction extrêmement sévère aux vecteurs adénoviraux qu'il avait ainsi reçus, suivie d'une défaillance des différents organes, entraînant coma et mort en quatre jours (17 septembre 1999). Cet accident particulièrement grave a porté un coup sévère à la pratique de la thérapie génique, en particulier aux Etats-Unis.
La thérapie génique se releva cependant de ce malheureux accident, qui était propre au vecteur employé. Ce qui amena cette renaissance de la thérapie génique fut le succès enregistré à l’hôpital Necker à Paris, dans la thérapie génique du SCID-X. Les premières expériences de thérapie génique clinique avaient eut lieu aux Etats-Unis et avaient concerné, comme on vient de le voir, le SCID-ADA. C'est un autre déficit immunitaire, très voisin du SCI-ADA, qui fut traité à Paris par thérapie génique, de 1999 à 2002, le SCDID-X, dénommé en français DICS-X (déficit immunitaire combiné sévère lié à l'X). Le DICS-X concerne généralement des sujets de sexe masculin, et se manifeste très tôt après la naissance par la survenue d'infections sévères, bactériennes, virales, ou mycosiques. Non traités, les enfants n'ont qu'une espérance de vie de moins d'un an. Comme dans le DICS-ADA, le traitement consiste en une transplantation de moelle osseuse HLA compatible mais, comme dans le DICS-ADA, cela ne peut se faire que dans environ 20% des cas, car il est rare de trouver un donneur parfaitement compatible. Alors que faire dans les 80% des autres cas ? Il n’existe pas dans le DICS-X de produit de substitution, comme c’est le cas dans le DICS-ADA. Donc effectivement, ces enfants meurent. Mais dans une très belle série de treize enfants malades, le docteur Fischer et la docteur Cavazzana-Calvo, de l’hôpital Necker, ont réussi à traiter ces enfants par thérapie génique ex vivo et à les guérir. En cela consiste la merveille de la thérapie génique : quand elle marche, elle guérit totalement, puisqu’elle traite la maladie à la racine. C'était là un beau résultat : des enfants qui mouraient en un an pouvaient maintenant vivre normalement, sans traitement, sans limite aucune.
--Cette thérapie génique contient donc de belles promesses…
Oui. Malheureusement dans la série de l'hôpital Necker, on s’est aperçu qu’au bout d’un an, un des enfants ainsi traités et guéris présentait des signes de leucémie. Pourquoi une leucémie ? Parce que le gène de correction du DICS-X s’était inséré dans le génome de l'enfant au voisinage d'un gène « prooncogène », le LMO2, qui, du coup, était devenu oncogène, et avait mis en route une leucémie à partir de la cellule ainsi transformée. On espéra à un moment qu'il ne s'agissait là que d'une complication particulière au sujet intéressé. Mais il fallut vite déchanter : d'autres leucémies apparurent, chez d'autres enfants traités pour DICS-X dans cette série. Il y eut au total cinq leucémies dans cette série, et un des enfants ainsi atteints mourut malgré le traitement.
--Alors cette thérapie génique, où en est-elle ?
En dépit de ces complications, la thérapie génique a continué son chemin, parce qu'on a besoin d'elle. De nouveaux vecteurs, plus efficaces, moins dangereux ont été développés. C'est ainsi que le virus du SIDA, le VIH, a pu être « domestiqué », rendu non pathologique par recombinaison génétique, et utilisé comme vecteur pour atteindre des organes où les autres vecteurs n'ont pas accès, en particulier le cerveau. Il en est de même du virus de l'Herpès. Des progrès ont été aussi accomplis dans l'utilisation des procédés physiques de transfert de gènes, comme l'électroporation. Les transposons, ces séquences d'ADN qui circulent librement dans l'organisme et peuvent transporter plusieurs gènes à la fois, se révèlent aussi d'intérêt. La réparation des gènes pathologiques par la technique SMART (spliceosome-mediated RNA trans-splicing) ou le remplacement du gène muté par les zinc finger nucleases ont probablement de l'avenir. Enfin la découverte des petits ARN inhibiteurs, les RNAi, a ouvert largement le champ de la mise au silence des gènes pathologiques, qui peut être utile en cas d'hyperproduction de protéines toxiques, comme la maladie de Huntington, par exemple.
--On a reproché à la thérapie génique somatique de donner dans l'eugénisme, ou encore de comporter un risque d'altération de la personnalité. Qu'en est-il ?
En ce qui concerne les risques de changement de la personnalité des sujets traitées que ferait courir la thérapie génique, en raison d'un lien supposé entre gènes et personnalité, dix huit ans de thérapie génique clinique ont largement montré que cette crainte était sans fondement et faisait partie de ces fantasmes que toute nouvelle technique suscite dans l'esprit humain. Aucune intervention génique ne peut modifier la personnalité d'un individu parce que cette personnalité est le fruit très complexe d'une multitude de facteurs, familiaux, culturels, historiques, de l'environnement, où les gènes ont certes leur place, mais où la liberté intervient aussi. C'est de la rencontre entre la nature, la culture et la liberté que surgit la personne. Pour le croyant, cette personnalité n'est pas sous le poids du « fatum » des anciens ou de l' « anagkè » grecque : elle se forme librement, dans la réponse du « je » aux conditions dans lequel le Créateur l'a placé, charbonnier, nomade ou empereur, pour qu'il y accomplisse son cycle vital, et se prépare ainsi à l'ineffable. Sur le plan génétique les possibilités d'influer la personnalité en modifiant un ou deux gènes sont extrêmement réduites. On peut altérer la fonction d'un gène ; on ne peut pas en modifier 25.000. Certes, comme nous l’avons vu, on pourrait introduire par erreur quelques modifications dans le cadre d’une thérapie génique et, sans le savoir, toucher tel ou tel gène par inadvertance. Il est probable qu'en un tel cas la modification sera immédiatement compensée, et que le risque le plus sérieux sera celui du déclanchement d'un cancer ou d'une leucémie, si la modification touche un prooncogène.
La seconde accusation portée à l'encontre de la thérapie génique somatique, en particulier par Jeremy Rifkin, a été que, en dépit de son aspect volontairement et uniquement thérapeutique, elle n'échappait pas à l'eugénisme, puisqu'elle considérait certaines situations humaines comme devant être corrigées, ce qui fait partie de la discrimination eugénique. Une telle accusation semble exagérée et, de plus, n'a plus été reprise à partir du moment où la thérapie génique a commencé d'être appliquée à l'homme, dans l'éprouvante réalité des maladies héréditaires graves. Donner sa chance à un petit enfant atteint de défaut immunitaire grave peut être considéré comme un acte de justice, de solidarité, de compassion, de réponse à un défi technique, ou de satisfaction de l'ego du chercheur, selon les interprétations possibles ; ce n'est pas de l'eugénisme.
--Mais la thérapie génique ne comporte-t-elle pas de risques de déviances ?
La thérapie génique pourrait dériver, certes, du simple traitement individuel vers un but d'éradication de la mutation délétère, si au lieu de se cantonner, comme elle le fait actuellement, à une modification génique des cellules ordinaires du corps, les cellules somatiques, elle visait aussi à corriger l'anomalie génétique dans les cellules germinales du corps, celles d'où dérivent les cellules sexuelles, les gamètes. Une telle thérapie génique germinale devrait être mise en œuvre très tôt, dans le cadre d'une fécondation in vitro, soit dans l'embryon, in vitro, soit dans les gamètes avant la fécondation. Dans un tel cas, les enfants qui naîtraient de tels gamètes ou de tels embryons seraient indemnes de la mutation et ne la transmettraient pas. Le « poids génétique » qui pesait depuis des générations sur la famille ainsi éprouvée aurait disparu. Les parents seraient libres de procréer sans obstacle, sans crainte de voir un de leurs enfants atteints de la maladie familiale. Cette thérapie génique germinale, qui s'est démontrée effective sur l'animal, pourrait donner des résultats chez l'homme. Son inspiration est effectivement eugénique, puisqu'il s'agit d'éradiquer une tare génétique. Mais elle n'est pas discriminatoire : elle n'élimine aucune vie humaine potentielle. Cependant les lois, lorsqu'elles existent sur ce point, ne l'autorisent pas, et les comités d'éthiques y sont opposés.
--Pourquoi?
Parce que l'on n'est pas encore sûr du résultat à distance d'une telle intervention génique. Dans le cadre de la thérapie génique somatique, même si une fâcheuse conséquence de la modification génique se révèle à distance (comme la leucémie chez les enfants atteints de DICS-X traités à l'hôpital Necker), cette conséquence est limitée à la personne traitée. Dans le cadre d'une thérapie génique germinale, ce serait toute la lignée parentale qui serait atteinte et porterait la mutation accidentellement produite par la manipulation génique. Ce serait une catastrophe. Par prudence et sagesse, on dit aujourd'hui qu’il faut encore attendre au moins dix ans, pour que, plus sûrs de leur technique et de son innocuité à distance, les genethérapistes puissent franchir leur Rubicon, et proposer avec assurance un essai clinique de thérapie génique germinale. Cette thérapie germinale serait de toute façon jugée inacceptable par l'Eglise, puisqu'elle présuppose la pratique d'une fécondation artificielle, avec manipulation génétique soit de l'embryon, soit des gamètes.
--Existe-t-il d’autres déviances possibles de la thérapie génique ?
Une autre dérive de la thérapie génique pourrait se faire vers les modifications d’amélioration, enhancement en anglais. Il ne s'agirait plus, cette fois-ci, de thérapie mais d'intervention génique délibérée à fin d'amélioration. Le but poursuivi ne serait plus de corriger une mutation défavorable, mais de pouvoir faire telle ou telle intervention sur la séquence de l'ADN du sujet, que l'on saurait pouvoir procurer à ce sujet un avantage physique ou intellectuel sur le « normal », comme par exemple un accroissement de la force musculaire. Il faut d'abord bien souligner le fait qu'une telle « amélioration génique » est, actuellement encore, du domaine du pur rêve. Nous avons vu toutes les difficultés qu’il y a à simplement corriger un unique gène pathologique par la thérapie génique somatique. La plupart des fonctions, dans l'organisme, dépendent de la coopération de centaine, voire de milliers de gènes différents. Il n'y a pas un gène unique gouvernant la force musculaire, ou la vision, ou l'intelligence : il s’agit toujours d’associations de gènes multiples. On peut donc faire une croix sur les idées simplistes d’amélioration de la qualité intellectuelle ou de la force physique par intervention monogénique. Ce qui par contre n'est pas impossible est de conférer à l'organisme un certain avantage en apportant des copies supplémentaires d'un gène produisant des protéines reconnues utiles. Par exemple, chez l’animal on est arrivé à accroître les performances physiques de certaines souris en termes de vitesse de locomotion et d'endurance, par intervention génique portant sur un gène contrôlant le développement relatif d'un certain type de fibre musculaire. On a obtenu ainsi des souris hyperperformantes dans les labyrinthes, capables de courir des heures entières, et vivant plus longtemps.
On peut penser qu'une telle modification serait applicable à l'homme, si elle n'a pas de conséquence imprévue perverse à distance. La première application de ces modifications d’amélioration serait donc au niveau sportif, et l'on voit déjà tout le problème qu'elle poserait aux organisateurs de compétitions sportives, et ce d'autant plus que rien ne permettrait de prouver la supercherie en cause. Une autre application possible des interventions génétiques au bénéfice de l'espèce humaine concernerait la vision, par exemple en assurant un renouvellement des cellules sensorielles ou la régénération de la rétine. Si l'on découvre par exemple, un jour, un facteur génétique qui favoriserait la vision nocturne, son application à tel ou tel sujet lui conférerait un avantage certain. L'application de cette trouvaille serait d'ailleurs, probablement, d'abord militaire. Mais que se passera-t-il dans un tel cas? Une injustice. Certains, les heureux bénéficiaires de l'intervention, probablement encore une fois les gens les plus nantis, en tireraient un grand profit, individuel et personnel. Le reste de l'humanité en serait réduit à l'envie et à la jalousie et le résultat final de l'opération ne serait probablement pas des meilleurs pour la paix sociale.
--Ces modifications d’amélioration posent la question de la normalité : quelle est la normalité ?
En effet, qu’est-ce qu’un être normal ? Qui définira la normalité ? Qui décidera à quel type de personne pourra être conférée l'amélioration possible ? Qui définira le degré d'amélioration dont on pourrait gratifier tel ou tel individu sans que cela ne trouble la paix sociale ? Qui empêchera les hommes au pouvoir de favoriser ainsi leurs proches, au détriment des autres, ou même de se créer des surhommes pour assurer leur garde personnelle ? Les réponses à ces questions nous font retomber dans la perspective d'un eugénisme positif non souhaitable, parce que discriminatoire. De plus, les différences ainsi apportées dans l'humanité créeront réellement des supériorités et des infériorités « ethniques », facteurs de ressentiment et de guerre féroce. L'exemple récent du Rwanda en dit long sur ce qui pourrait arriver à l'humanité au cas où un procédé d'amélioration de certaines capacités humaines pourrait être appliqué à certaines personnes mais pas à toutes.
La thérapie génique d’amélioration, qui est encore un rêve mais qui demain pourrait se concrétiser, n'est donc pas éthique, car elle introduirait injustice, envies, rancoeurs et conflits, et elle serait dangereuse. Elle n’est pas complètement exclue si on arrive à faire bénéficier l'humanité entière de la petite amélioration ainsi réalisée. Après to