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22/01/2007

Selon Sciences Po, " l'Eglise sera vaincue par le libéralisme "

...affirme  J. M.  Donegani  (photo) dans  Le Monde.  Article révélateur de l'idéologie  dominante  !  Mais qui n'impressionne pas les catholiques connaissant leur religion :


 

Jean-Marie Donegani est professeur à Sciences Po Paris, directeur d’études à l’Ecole doctorale, médaille de bronze du CNRS, membre du Conseil national des universités, directeur de la revue Raisons politiques... Il est réputé spécialiste de bien des choses, et notamment de la religion dans la société moderne*.

En 2003, il publiait* une analyse intitulée « Catholicisme et libéralisme : de la concurrence à l’alliance ». 

Il ne lui aura fallu que trois ans et quelques mois pour renoncer à cette idée d’alliance entre catholicisme et libéralisme, si l’on en juge par la page (entière) qu’il signe dans  Le  Monde  des 21-22 janvier 2007, sous ce titre fracassant : « L’Eglise sera vaincue par le libéralisme ».

 

SOMMATION A L’EGLISE CATHOLIQUE !

 

La thèse de Donegani n’est pas originale : c’est celle que martèle Mme Hervieu-Léger (EHESS) depuis vingt ans, et que brocardait Jean-François Kahn dans son excellent éditorial de Marianne  à  la  mort  de Jean-Paul II.   A  savoir : le catholicisme français doit céder à la pression du « libéralisme culturel », qui a trois effets sur la religion :

a)  il la relègue dans la sphère privée ;

b)  il la réduit à un sentiment subjectif ;

c)  il la soumet au relativisme.

La seule nouveauté de l’article Donegani, c’est qu’il s’appuie sur le récent sondage CSA - Le Monde des religions  (cf. ma note du 9.01) : sondage constatant – une fois de plus – que les « catholiques » des sondages  ne sont… pas catholiques.

Donegani  en  déduit  que  « l’Eglise  n’est  pas  un type d’organisation en affinité avec la modernité », et il somme l’Eglise – si elle veut « survivre » –  de se soumettre à l’esprit du temps.  C’est-à-dire  « de cesser de fonctionner à l’autorité et à la prescription » (réservées aux seuls sociologues),  et de se résigner à ce que le catholicisme perde son contenu de révélation, pour se réduire à une simple palette de « valeurs » humanitaires. « Aller à la messe semble moins important que d’aider son prochain »,  tranche l’article...

 

CA N’IMPRESSIONNE PAS LE CROYANT

 

Les catholiques croyants ne sont pas impressionnés par la page du Monde. Ils ne voient pas pourquoi on devrait opposer « la messe » et « l’aide au prochain », choses inséparables depuis vingt siècles**. Ils savent aussi que ceux qui « ne vont plus à la messe » ne sont pas forcément  lancés  dans  le  caritatif, et que les plus dévoués à autrui sont souvent des pratiquants. (A l’inverse, ceux  qui choisissent le repli  individualiste au détriment de la pratique religieuse, le choisissent assez souvent  aussi  au  détriment  de  l’humanitaire : ce sont des choses que l’on mesure sur le terrain, où ne viennent guère les sociologues).

Les croyants savent que le problème est ailleurs, et que la décomposition de la foi catholique dans beaucoup d’esprits tient à d’autres facteurs que l'élan caritatif !

 

LE LIBERALISME NE PEUT « VAINCRE L’EGLISE »

 

Lorsque Donegani constate un lien entre le climat « libéral » et le recul de la foi religieuse, on ne peut que lui en donner acte.  Il ne s’agit évidemment pas du libéralisme au sens où veulent l’entendre les libéraux-conservateurs français, qui confondent libéralisme et liberté d’entreprendre ; il s’agit du « libéralisme totalitaire » (comme dit Schooyans), destructeur de toutes les valeurs non marchandes – et en premier lieu, de l’attachement populaire au catholicisme.

Ce libéralisme-là se confond avec l’idéologie de masse de la société de marché, dont l’emprise sur les foules est considérable. On ne doit pas s’étonner du recul de la foi religieuse, dans un tel paysage.

Pour autant, le libéralisme peut-il « vaincre » l’Eglise catholique, comme le proclame Donegani (en une formule étonnamment brutale) ?

Evidemment non. Pour qu’il y parvienne, il faudrait que la foi religieuse et l’idéologie soient de même nature. Ce n’est pas le cas. Staline n’a pas « vaincu » la foi orthodoxe en URSS, et le Marché ne « vaincra » pas la foi catholique en Occident, pour la simple raison que l’enjeu de la foi échappe au temps et à l’espace. Si le noyau des catholiques croyants tient bon dans l’intelligence de la foi (et la générosité du témoignage), l’avenir ne ressemblera pas à ce que souhaitent l’IEP et l’EHESS.  Entre  une  mode politico-économique et une espérance surnaturelle, la partie n’est pas jouable.

Donegani sourira ironiquement si quelqu’un lui fait part de cette idée. Il aura tort : son ironie passe à côté du sujet.

On peut en tout cas le remercier d’aider (involontairement) l’opinion catholique à comprendre que le « libéralisme » n’est pas une solution  – mais qu’il est devenu  le  problème.

 

P.P. 

 

p.s. /  Plutôt que de chercher à "vaincre" l'Eglise catholique, les libéraux feraient mieux de s'apercevoir que leur idéologie est en train de saborder l'Europe et de démoraliser les salariés, notamment les jeunes. Economiquement et socialement, les libéraux accumulent des charbons ardents sur leur tête. 

 

 

_______

(*)  Parmi ses écrits : « La pensée catholique », Raisons politiques, 2001, n° 4, direction du numéro. / Catholicismes de France (avec G. Lescanne), Desclée, 1986 / « Religion et politique » in O. Galland, Y. Lemel, dir., La nouvelle société française, A. Colin, 2006. / « Auto-compréhension ecclésiale et débat public », Transversalités, n° 93, janvier-mars 2005. / « Catholicisme et libéralisme : de la concurrence à l’alliance », in T. Ferenczi, dir., Religion et politique, une liaison dangereuse ?, Ed. Complexe, 2003. / « Laïcité, sécularisation et religion : les enjeux d’une redéfinition obligée », in G. Bedouelle et al., Une République, des religions, Ed. de l’Atelier, 2003. / « Pour une conversation entre sociologie et théologie », in F. Bousquet et al., La responsabilité du théologien, Desclée, 2002./« L’auto-compréhension du catholicisme entre critique et attestation », Raisons politiques, n° 4, février 2002.

(**)  C'est le christianisme qui a introduit  l'idée  de  charité  et de solidarité avec les plus faibles.  Elle  n'existait  pas  dans  le monde païen antique, si cher rétrospectivement  (et anachroniquement)  aux hédonistes basiques du type Onfray.

 

 

Commentaires

L'ESPRIT DU CAPITAL

> Merci pour ce très bon article. Effectivemment, il n'est pas lieu d'opposer les valeurs chrétiennes et les rites de la foi. Comme vous le dites si justement, valeurs et pratique religieuse se nourrissent. L'individualisme, par essence, n'amène qu'à l'isolement et à l'inaction.
Les catholiques sont appelés à devenir des dissidents, courageux face à la discrimination dont ils vont faire, de plus en plus, l'objet. Dans la générosité du témoignage, dans la joie de la Communion, il va nous falloir refuser radicalement le libéralisme, l'esprit de capital qui instrumentalise la personne humaine.

Q.

[De PP à Q. - "Esprit d'un monde sans âme..."]

Écrit par : Quentin | 22/01/2007

CONTRADICTIONS ET REVIREMENTS

> Les contradictions et revirements divers des anti-cathos ne les gênent pas, au contraire, ça semble les doper… Pour ce qui est du libéralisme, mot fourre-tout, véritable auberge espagnole, même dans les milieux économiques, déclarer magistralement il y a 3 ou 4 ans, presque ex cathedra, qu’il est l’ « allié de l’Eglise », et aujourd’hui avec la même autorité... prophétiser au son du tambour qu’il sera « vainqueur de l’Eglise » …. un jour… celui de la Parousie inversée probablement….
Il y a du M. Onfray dans ce professeur de Sciences Po. Quelle compétence a-t-il pour traiter valablement de questions religieuses aussi diverses que votre bibliographie le laisse voir ?.....
Si c’est la compétence de Jacques Duquesne ou de l’ancien ministre de l’EN Claude Allègre, ( dans le domaine religieux, et catholique seulement), on peut avoir quelques doutes.
Aujourd’hui, à la lumière d’un sondage, il voit la chute du catholicisme, vaincu par le Marché mondial….
Mais rien ne l’empêchera, un jour, si ledit Marché par exemple venait à se casser la figure pour une raison ou une autre, de voler au secours de la victoire de l’ennemi condamné aujourd’hui. Et avec les mêmes accents tonitruants !
C’est ce qu’on appelle le relativisme.
Comme vous le dites, ça n’impressionne pas le croyant !
La liberté du libéralisme n’est pas celle de la foi.
La liberté du Marché n’est pas la liberté religieuse
Et la liberté du Marché absolue, élevée au rang d’impératif catégorique, c’est évidemment une idéologie totalitaire, un ersatz religieux, mais ça n’a rien à voir avec une foi religieuse véritable, et encore moins avec la foi chrétienne. Les ordres ne sont pas les mêmes.

Écrit par : clement | 22/01/2007

LIBERALISME

> Vous me semblez ramener tout libéralisme au libéralisme politico-économique. Vous dites : « il s’agit du « libéralisme totalitaire » (comme dit Schooyans), destructeur de toutes les valeurs non marchandes » ou encore : « Ce libéralisme-là se confond avec l’idéologie de masse de la société de marché » . « Entre une mode politico-économique et une espérance surnaturelle ».
Je ne connais pas précisément le « libéralisme culturel » de Mme Hervieu-Léger et le « libéralisme totalitaire » de M. Schooyans, mais leur appellation me fait penser qu’avec eux et M. Donegani, on est dans un libéralisme idéologique propre au domaine de la pensée qui se poserait plutôt en adversaire du libéralisme économique. Il s’apparente au libéralisme affirmé par la Cour suprême du Canada qui disait à propos du mariage entre homosexuels : « [...] Interprété de façon libérale, le mot "mariage" [...] n'exclut pas le mariage entre personnes de même sexe ». C’est dire qu’on peut appeler mariage ce qu’une majorité, connue par sondage, est prête à appeler mariage.
Cette idéologie est fondamentalement relativiste. Eu égard à la vie en société, elle fait fi de la réalité au profit de l’opinion. Elle est libérale par sa défense de la libre circulation des conceptions de la vie avec prédominance de celles que les sondages affirment être « tendance ». La suite appartient aux plus forts : vous formez un groupe de pression, vous faites faire des sondages, vous investissez les médias. Vient un jour où on pourra dire les « cathos » minoritaires et où l’on pourra les inviter, les inciter, à rejoindre la majorité puis pour ensuite les sommer de le faire, de façon à ne pas nuire au libéralisme totalitaire. Retranché dans les Sciences Po on ne peut voir dans l’Église qu’un mouvement idéologique comme un autre. À partir du moment où les sondages révèlent ce mouvement minoritaire on l’invite à rejoindre les rangs de la "tendance".

P. T.

[De PP à PT - Distinguer le libéralisme culturel et moral du libéralisme économique était possible autrefois, quand il existait des contrepoids sociétaux et politiques au pouvoir du business. Mais aujourd'hui, le business règne sans partage. La société est devenu intégralement une "société de marché", et la logique marchande expulse tout ce qui n'est pas elle. Notamment le spirituel... Je ne sais pas ce qu'il en est au Québec, mais c'est flagrant en France. Et c'est ce qui donne au public l'impression que le spirituel (catholique) est une sorte d'Alien, étranger au monde "normal".]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Pierre | 22/01/2007

"ETRANGER AU CHRISTIANISME"

> Il y a un passage sur lequel je voudrais revenir dans l'article de Donegani : il aborde la question de la vérité, du relativisme religieux et du subjectivisme d'un point de vue très étranger au christianisme, quoi qu'il en pense.
D'abord il compare deux notions radicalement différentes : d'une part, le fait que, selon le récent sondage du "Monde des religions", seulement 7% des catholiques estimeraient que le catholicisme est la seule vraie religion, situation étonnante en effet (fruit en partie de l'esprit de "tolérance" en vogue chez nos animatrices en catéchèses pleines de bonne volonté mais peu formées, alors que la catéchèse devrait être un des piliers de nos communautés et l'objet de toutes nos attentions) ; mais pourcentage à rapporter au fait qu'il concerne ces catholiques sociologiques qui justement n'adhèrent pas aux dogmes de l'Eglise .
D'autre part, Donegani juge "plus surprenant encore" que, toujours selon ce même sondage, 52% des pratiquants qui vont à la messe tous les jours estiment qu'on trouve des vérités dans différentes religions. Où le sociologue croit venir au secours d'une religion qu'il ne connaît pas ! car l'Eglise catholique (et avant elle le judaïsme, par exemple quand il a répertorié les proverbes de la sagesse des nations) a toujours admis, et l'a fait très explicitement depuis Vatican II, que des aspects de la Vérité révélée dans le christianisme pouvaient être appréhendés et manifestés par des hommes de bonne volonté non seulement dans une autre religion, mais tout simplement dans une vraie relation d'amour.
Ensuite, Donegani affirme qu'aujourd'hui toute vérité est relative et est relative au sujet qui l'énonce (ceci mériterait d'être mieux argumenté, car le relativisme épistémologique est une tout autre chose que le subjectivisme, mais répondons-lui sur la définition qu'il donne). Et Donegani écrit : "Le relativisme contient l'idée de relation : est vrai ce qui est en relation avec moi."
Eh bien justement, le christianisme (et déjà le judaïsme) propose une relation (l'étymologie de la religion est là), Dieu propose bien à l'homme une relation et, à Pilate qui s'interroge sur ce qu'est la vérité (car Donégani n'est pas le premier), Jésus répond "Je suis (Yahvé) le chemin, la vérité, la vie" : la vérité est une personne ! N'est-ce pas cette relation que notre sociologue réclame ? Et cette vérité est aussi elle-même le chemin pour y parvenir ! Comment ? En ce qu'elle est la Vie elle-même... Chercher le chemin, la vérité, la vie dans une personne, la personne du Christ, qui nous conduit à celle du Père, dans l'Esprit...
Alors, Donegani, où est le problème ?
La relation, la "trinité", l'amour, l'objectivation du sujet est le coeur du christianisme : deviens ce que tu es...
et c'est dans le cheminement même de la vie qu'apparaît la vérité : deviens ce que tu es...
Le hiatus dont parle Donegani entre le dépôt de foi tenu par l'Eglise et la foi vécue par les catholiques n'est donc que sociologique, c'est-à-dire très extérieur à la vérité de l'Eglise qui est à la fois ce peuple en marche dans l'inachèvement de la Révélation pourtant déjà accomplie et l'Institution garante de la vérité catholique, la Révélation de Dieu en Jésus-Christ.

PS :ce qui ne nous dispense pas, j'en conviens, P. de Plunkett, de nous former et de veiller à la formation des fidèles et de leurs pasteurs (hum... et de leurs permanentes en pastorales, dont je salue le dévouement sincère...)

Écrit par : Christine | 23/01/2007

DONEGANI CHIFFONNE UN PEU


> Il y a en effet dans l’interview de monsieur Donegani des choses qui chiffonnent un peu.

Le titre d'abord. Même si il y a eu conflit, je ne suis pas sûr qu'on puisse raisonner en terme de victoire du libéralisme sur l'Eglise catholique en tant que telle. Victoire du libéralisme sur l'Eglise telle qu'elle s'est construite rationnellement et pyramidalement à partir de la Révolution papale (cf. Harold Berman) puis en synergie avec l'absolutisme, incontestablement. Mais, je ne pense pas que cet héritage hiérarchico-bureaucratique qui est d'ailleurs en grande partie à l'origine des appareils des Etats modernes soit aujourd'hui plus en danger que, actuellement, dans le contexte de mondialisation, de réticularisation, d'ordre polycentrique qui est le nôtre, les structures de nos Etats modernes, leurs administrations, leurs systèmes décisionnels etc... Certes les Etats fonctionnent sur la coercition et non l'adhésion mais est-ce suffisant pour penser que l'Eglise est plus fragile de ce point de vue que les appareils politiques. Je ne suis pas sûr que l'appareil ecclésiatique de l'Eglise romaine soit un obstacle à sa survie. Indépendamment que ce qui fait Eglise est la communion fondée sur les sacrements, sans oublier la relation à un Dieu personnel médiatisée par ces mêmes sacrements, et non sa structure machinique actuelle qui n'est que la lecture propre à l'Occident européen de cette communion, la rigidité de l'appareil ecclésiatique romain réorientée vers la collégialité de Vatican II et l’oecuménisme, est, dans le contexte anomique des sociétés modernes, à mon avis, plutôt un atout. On ne voit pas pourquoi l'appareil ecclésiastique ne pourrait pas moins passer de l'absolutisme à la régulation systémique que les Etats modernes, ce qui ferait de l'appareil ecclésiastique une sorte de pendant inattendu de ce rêve d'Etat régulateur qui a tant de mal à se mettre en place. Ce qui était rigidité pour et dans un monde rigide peut devenir cohésion et régulation dans un libéralisme auto-organisé après tout. De ce point de vue, les églises protestantes me semblent paradoxalement plus en danger puisque offrant un fonctionnement de type "fumée" elles risquent de manquer de force interne pour répondre aux dynamiques évanescentes de sociétés qui, elle même, tendent vers la fumée pour reprendre la métaphore d'Atlan dans Entre le cristal et la fumée/Essai sur l’auto-prganisation du vivant (Point-Seuil). Enfin, je serais tenté d'ajouter que le catholicisme est plutôt plastique aux différentes cultures du monde plus que la démocratie libérale par exemple.

Ensuite, la prétention de l'Eglise catholique a dire " La vérité" dans un contexte de libéralisme culturel qui considère comme intolérable la prétention à détenir la vérité et postule qu'il n'y a de vérité que celle du sujet.
Je ne pense pas que cela soit un problème. D'abord, parce que ce qui est intéressant dans le contexte du libéralisme, c'est la mise en concurrence de groupes qui disent La vérité, la leur, (et bien sûr des argumentaires de justifications de La vérité de ces même groupes) en permettant ensuite de choisir celle qu'on considère comme la meilleure, la plus adaptée à soi etc... Je ne vois pas en quoi cette mise en concurrence des valeurs et des systèmes associée au libre choix des sujets va forcément faire de l'Eglise une vaincue. Elle va certainement perdre des fidèles et de l'argent certes mais est ce vraiment grave ? Dans un système concurrentiel, il faut tout mettre en concurrence les gains et les pertes. Or dans cette perspective, il ne faut pas oublier qu'il y a aussi une facture du relativisme et du libéralisme culturel en terme de dépense d'énergie psychique, d'anxiété, de gestion douloureuse de choix de vie et d'histoire personnelle, d'agressions, de non réponse au nihilisme, de désorientation etc... On ne peut penser la survie de l'Eglise catholique qu'en la mettant en perspective par rapport aux logiques endogènes du libéralisme culturel et de l'individualisme en prenant garde à ne pas se laisser aveugler par un Credo de l'adaptabilité qui dirait que ceux qui vont mal sont forcément les "inadaptés" et ceux qui vont bien les "adaptés". Aller bien c'est aller bien en soi quelles que soient les causes de l'aller bien lesquelles sont très variables en fonction des gens et des histoires. Aller bien ce n'est pas forcément être adapté au contexte c'est aller bien par n'importe quel moyen y compris, pourquoi pas, celui d'une certaine forme d'inadaptation. Une fois la liberté conquise, ce qui a été le travail de la génération née entre 1925 et 1945, une proposition forte, une tradition éprouvée, un appareil structuré mais non coercitif peuvent être séduisants. La jeune génération n'a pas le même rapport que la tienne à la rigidité de l'Eglise puisqu'elle n'a pas eu à s'en "arracher". Sauf pour quelques intégristes, elle n'est plus contraignante. C'est du vide et d’un quadrillage rationnel non porteur de « sens » dont les jeunes souffrent aujourd'hui et ils perçoivent le quadrillage rationnel et l’injonction à penser « droit » beaucoup plus dans l’Ecole, la bureaucratie des administrations, le déploiement de la police et le conformisme des médias que dans l’Eglise qui leur semble plutôt exotique et hors du temps, ce qui n'est pas porteur pour eux d'une connotation forcément négative. Par contraste l'Eglise apparaît plutôt bonne mère et peut sans problème être consommée librement et être accompagnante du trajet auto-géré des individus, tour à tour et à la fois, « pèlerins et convertis ». Elle est moins rigide que le code pénal par exemple ou la police de la République ou l'Ecole.

J'ajouterais aussi que Jean-Marie Donegani semble faire du libéralisme culturel une nouveauté à laquelle le catholicisme n'aurait jamais été confronté. C'est oublier qu'il est né dans un contexte pluriel qui n'est pas sans avoir beaucoup de points communs avec le libéralisme culturel d'aujourd’hui, qu'il est lui même polyculturel dès sa naissance (judaïsme, philosophie et sagesses païennes), qu'il a avalé les invasions barbares, les cultures locales. C'est oublier aussi que plus récemment des milieux et des cultures ont depuis 250 ans une culture de libéralisme culturel, je pense aux élites aristocratiques et bourgeoises de l'Europe qui sont de religions diverses, d'opinions très plurielles, de comportement et de moeurs très libres, ce qui n'a jamais empêché l'Eglise de toujours très bien gérer ces aristocrates sceptiques et ces bourgeois voltairiens, sans oublier les homosexuels flamboyant des années 30 (Henri Ghéon, Poulenc, Max Jacob) qu'il lui était impossible de dominer, intellectuellement notamment, et avec lesquels elle a toujours su dialoguer.

Compte tenu de tout cela, je me garderais bien de prohétiser quoi que ce soit. Jean-Marie Donegani, comme d’autres, semble lui-même prisonnier d’une lecture qui est celle d’un Fukuyama par exemple et qui procède elle-même d’une lecture trop « facile » et peut être imprudente de la Société ouverte et ses ennemis de Popper. Peut-on assimiler le catholicisme à l’antilibéralisme et l’Eglise catholique aux différents anti-libéralismes de l’Histoire moderne ? Rien n’est moins sûr. Notamment si l’on fait référence aux travaux extrêmement argumentés d’un Philippe Nemo par exemple qui montre tout ce que le libéralisme, y compris le libéralisme culturel, doit historiquement au catholicisme. En fait, si on se place dans le point de vue d'Atlan par exemple, on peut pronostiquer par exemple a contrario de la thèse de Jean-Marie Donegani que des religions comme le catholicisme, l'orthodoxie, le judaïsme et le confuciano-taoïsme peuvent tirer leur épingle du jeu dans l’avenir car ils ont suffisamment de redondance, de souplesse adaptative, de réalisme et de rationalité pour répondre au défi du libéralisme culturel et de la mondialisation économique et sociétale tandis que le protestantisme trop proche de la fumée (et trop liés au "moment" la modernité bourgeoise occidentale européenne, notamment par un rapport trop privilégié à l'écrit, trop hyper-individualiste associé à un déficit de culture de soi au sens Foucault Hadot) et l'Islam trop cristallisé et fragile intellectuellement peuvent être les perdants de demain.

Écrit par : bruno | 24/01/2007

" TOUT SUR RIEN "

> Rostand disait qu'à force de se spécialiser sur des sujets de plus en plus pointus on finira par tout savoir sur rien. Monsieur Donegani y est parvenu. Cela confirme l'intervention de Laurent Lafforgue lors du forum "Amour et vie" à Genève sur la déréliction intellectuelle.
Comment s'étonner ensuite du comportement inepte de nos administrations ?

Écrit par : Qwyzyx | 24/01/2007

LES PROPHETIES DU "MONDE"

> J'ai peur que le titre, qui est sans doute de la rédaction du Monde (on voit mal comment un sociologue aussi "pro" pourrait méthodologiquement s'amuser à de telles prophéties), ne conduise à lire les propos de Jean-Marie Donegani avec des lunettes qui feraient de lui le nième représentant d'une certaine vulgate de la sociologie religieuse incarnée par madame Danièle Hervieu-Léger par exemple. Quand on lit l'interview, en faisant abstraction de ce titre absurde, on perçoit en effet plus de continuité que de rupture avec les écrits antérieurs de Jean-Marie Donegani cités par Patrice de Plunkett. Reste qu'en effet, on aimerait que monsieur Donegani soit plus précis lorsqu'il suggère à l'Eglise de cesser de "fonctionner à l'autorité et à la prescription". Parce que si je suis pape et si je suis son conseil à la lettre telle que la dernière phrase de l'interview est construite, je supprime le Credo et je le remplace par un... forum de discussion, destiné à laisser s'épanouir toutes les subjectivités dont je m'abstiendrai même d'être le modérateur de peur de... !!

Écrit par : Bruno Moysan | 28/01/2007

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